Universités, ONG et tourisme communautaire : des partenariats à réinventer
23 Juin 2025

Universités, ONG et tourisme communautaire : des partenariats à réinventer.

Dans le cadre de la session du 22 avril 2025 du groupe de travail « Tourisme Communautaire et Equitable » d’ISTO, une table ronde a réuni chercheur·ses, acteur·rices de terrain et professionnel·les du tourisme solidaire autour du thème : « le rôle des universités et des organisations non gouvernementales (ONG) dans l’appui aux initiatives de tourisme communautaire ».

Le tourisme communautaire, fondé sur la gestion collective des projets par les communautés locales, vise à renforcer leur autonomie économique, sociale et culturelle. Si l’ambition est partagée, les modalités de soutien par des structures extérieures comme les universités et les ONG suscitent de nombreuses interrogations. La session a permis de confronter des points de vue riches et ancrés dans des expériences concrètes de terrain.

Les membres du Groupe de Travail ont eu le plaisir d’accueillir deux intervenants pour partager ces réflexions :

  • Maxime Kieffer est maître de conférences à l'Universidad Nacional Autónoma de México, dans l'unité de Morelia. Il étudie le tourisme dans une perspective de sciences sociales et analyse les processus sociaux, culturels, environnementaux et économiques liés au développement communautaire, avec un accent particulier sur le tourisme alternatif, l'agriculture et l'artisanat. Il s'intéresse en particulier aux questions d'organisation collective, de production et de commercialisation dans le champ de l'économie sociale et solidaire et du développement durable, en s'appuyant sur diverses disciplines des sciences sociales.
  • Alfredo Somoza est un journaliste, animateur de radio, essayiste et activiste italien. Il a été le fondateur et premier président de l’Associazione Italiana Turismo Responsabile en 1988. Il préside depuis 2003 l'Istituto Cooperazione Economica Internazionale (ICEI) de Milan. Depuis 2019, il est directeur de Young Radio et président de Colomba, l'association des ONG de Lombardie. Il est également professeur de développement et de coopération en Amérique latine à l'Université catholique du Sacré-Cœur de Milan.

Des partenariats porteurs… à condition de valoriser les savoirs locaux

Le premier point largement partagé concerne la complémentarité entre les savoirs locaux et les apports extérieurs. Universités et ONG peuvent fournir des outils méthodologiques, des ressources financières, de la visibilité internationale, ainsi qu’un accompagnement technique. Elles contribuent aussi à la professionnalisation des porteur·ses de projets en proposant des formations adaptées et en facilitant les échanges d’expériences entre communautés.

Toutefois, ces partenariats ne sont fructueux que s’ils s’inscrivent dans une logique d’écoute et de co-construction. Il ne s’agit pas d’imposer des modèles, mais de soutenir les dynamiques locales. L’approche de recherche-action participative apparaît ici comme une voie prometteuse. Elle repose sur la production collective de savoirs et l’implication des communautés à toutes les étapes du projet, avec des méthodologies originales. Un exemple intéressant est celui du jeu de rôle Dubinda, qui permet aux participants d’explorer les implications du développement touristique dans une petite communauté de pêcheurs imaginaire, et d’en tirer des recommandations pour leur propre communauté.

Le respect des temporalités et des priorités locales

Les échanges ont aussi mis en lumière un défi majeur : celui du temps. Les logiques institutionnelles des ONG ou des universités ne coïncident pas toujours avec les rythmes des communautés. Les projets académiques ou financés par des bailleurs suivent souvent des calendriers serrés, peu compatibles avec les processus longs de dialogue, de construction de confiance et de décision collective.

Dans plusieurs cas, ce décalage temporel a pu nuire à la pérennité des projets. Pour qu’un tourisme communautaire soit véritablement durable, il faut accepter l’incertitude, respecter les hésitations, et reconnaître que certaines décisions ne peuvent venir que des actrices et acteurs locaux, au moment qu’ils jugent opportun. A la fin du projet de recherche ou d’accompagnement, les universitaires et les ONG doivent pouvoir s’effacer, et le projet touristique communautaire continuer de manière autonome.

Tourisme communautaire et recherche : quelles contributions ?

Sur le plan académique, la table ronde a rappelé l’importance de diversifier les formes de savoirs reconnues dans le champ du développement. De plus en plus d’universitaires s’appuient sur des concepts comme l’« épistémologie du Sud », qui valorise les connaissances issues de l’expérience, de la mémoire collective ou encore des pratiques rurales et ancestrales. Ce changement de regard contribue à légitimer les voix des communautés souvent marginalisées dans les projets de recherche classiques.

Dans cette optique, les universités peuvent aussi produire des outils concrets, directement utiles aux projets locaux. Un exemple évoqué fut celui d’un guide pratique d’écotourisme corédigé avec les communautés, à partir des résultats d’une recherche doctorale. Loin de l’article scientifique, ce type de publication permet une circulation des connaissances plus horizontale.

ONG : d’une légitimité fragile à un rôle catalyseur

Les ONG, quant à elles, ont longtemps peiné à faire reconnaître le tourisme comme un levier de développement légitime. Jusqu’au début des années 2000, il restait absent des stratégies des grandes agences de coopération. Aujourd’hui, les lignes ont bougé. De nombreux projets ont vu le jour en Amérique latine, en Afrique, en Asie et même en Europe de l’Est, avec une reconnaissance croissante du potentiel du tourisme communautaire.

Cependant, ces projets ne peuvent fonctionner sans un certain nombre de conditions préalables : sécurité, accessibilité, infrastructures de base… et surtout, une organisation collective solide. Le tourisme communautaire n’est pas une affaire individuelle. Il repose sur des mécanismes de gouvernance partagée, une distribution équitable des revenus, et une forte implication des femmes et des jeunes. Comme l’ont souligné les intervenants, le tourisme n’est pas un projet de développement comme les autres car il est aussi un produit économique qui répond à une logique de marché et doit rencontrer un certain succès auprès des visiteurs pour perdurer, même si les objectifs de cohésion sociale et de partage équitables des retombées touristiques restent prédominants.

Renforcer la résilience des territoires

Un autre enseignement fort de cette rencontre concerne la nécessité de ne jamais faire du tourisme la seule source de revenus d’un territoire. Le tourisme communautaire doit s’articuler avec l’agriculture, l’artisanat, la pêche ou toute autre activité préexistante. Cette diversification est essentielle pour assurer la résilience économique des communautés, notamment en cas de crise — comme l’a démontré la pandémie de Covid-19.

De nombreux projets visent aujourd’hui à intégrer le tourisme dans des stratégies plus globales de valorisation des territoires : routes agro-touristiques, circuits écotouristiques, expériences immersives autour de produits alimentaires locaux… Le tourisme devient alors un levier parmi d’autres pour renforcer l’autonomie des populations rurales.

Le défi de la gouvernance partagée

L’un des enjeux les plus sensibles reste celui du pouvoir. Comment s’assurer que les décisions sont prises de manière démocratique, que les conflits internes sont gérés de façon transparente, que les inégalités ne se reproduisent pas à l’échelle locale ? Plusieurs outils de participation ont été évoqués : cartographie collaborative, jeux de rôle, arbres de problèmes… Autant de méthodes qui favorisent la prise de parole, le dialogue et la résolution des tensions.

Mais les outils ne suffisent pas. La volonté de changement doit venir de l’intérieur. Des projets stagnent parfois, non par manque de moyens, mais parce que les acteur·rices impliqué·es trouvent un équilibre — même instable — qui leur convient. L’accompagnement extérieur ne peut alors qu’ouvrir des espaces de discussion, sans forcer les transitions.

Vers un changement d’échelle ?

En conclusion, si le tourisme communautaire reste encore un segment marginal dans les statistiques mondiales, il prend une ampleur croissante dans certaines régions du globe. Il s’inscrit dans une vision du développement centrée sur les acteur·rices locaux·ales, les savoirs partagés et la solidarité. Universités et ONG ont un rôle à jouer dans ce processus, à condition de se positionner en appui, et non en surplomb.

Le débat reste ouvert : faut-il élargir la notion de tourisme communautaire à d’autres formes de gouvernance locale ? Comment éviter les effets pervers de la professionnalisation ? Quelles alliances inventer pour ancrer ces pratiques dans le long terme ? Autant de questions qui continueront d’alimenter les réflexions d’un secteur en constante évolution.

Article rédigé par Coralie Marti (ATES).