Le tourisme est aujourd’hui l’un des secteurs les plus impactés, en proportion et en durée, par la crise sanitaire mondiale qui s’est répandue depuis le début de l’année 2020. Cette violence vient accroître les nombreuses interrogations qui s’adressaient au secteur depuis déjà quelques années compte tenu des effets délétères, tant sur le plan humain qu’environnemental, que certains de ses comportements occasionnent dans de nombreux espaces de la planète. Malgré un discours vers plus de « durabilité » dans les activités économiques et notamment celles du tourisme, peu de réalisations concrètes ont été mises en place. Les nécessaires évolutions et réorientations des pratiques touristiques tardent à voir le jour dans un monde où le seul indicateur qui prévaut est celui de la productivité/rentabilité alors que les deux grands enjeux de notre monde du début du XXIème siècle sont d’une part, l’augmentation constante des inégalités et, d’autre part, la prise en compte des bouleversements climatiques en cours et à venir.
Face à cette problématique et aux enjeux cités, quel devenir pour le monde du tourisme en général et en particulier pour celui qui nous paraît être le plus en résonance avec les questionnements précédents, à savoir le tourisme équitable et solidaire ? En effet, dans une perspective post-crise, la mobilité est et restera une constante de l’Homme du XXIème siècle et le besoin de voyager, de découvrir, de toucher lieux et acteurs de mondes différents dont nous sommes submergés d’images et d’évocations, devrait perdurer sinon augmenter très fortement compte tenu de la croissance des classes moyennes des pays émergents, du vieillissement global de la population et des facilités accrues de connexion. En complément de cette mobilité, la tendance est de plus en plus forte de sortir des sentiers battus du tourisme industriel et de s’orienter vers un tourisme de rencontres, de partage d’expériences originales, de découvertes d’autres cultures. Mais ce besoin de mobilité et d’un autre tourisme doit être fortement orienté vers des voyages dont les effets positifs tant en termes de développement économique et humain qu’en termes de protection de l’environnement sont avérés.
En France, la notion de tourisme équitable et solidaire est apparue et s’est développée dans la mouvance de celle du commerce équitable à la fin des années 90. En effet, la conjonction de la mise en lumière d’actions de terrain portées par différentes ONG et acteurs d’un tourisme alternatif, avec celle d’une implication plus grande des institutions sur un tourisme plus responsable et le soutien au commerce équitable, a permis l’émergence de la thématique et de ses acteurs. Cette émergence, portée par l’Union nationale des associations de tourisme et de plein air (UNAT) et soutenue par le ministère des Affaires étrangères a abouti à la création de l’Association du tourisme équitable et solidaire (ATES) en 2006, regroupant voyagistes et acteurs impliqués dans la mise en œuvre avec leurs partenaires, majoritairement de pays en développement, d’une offre touristique répondant aux critères du commerce équitable et de la solidarité internationale.
Dans la droite ligne du commerce équitable qui vise à rééquilibrer les relations commerciales entre producteurs et consommateurs, le TES s’applique à permettre à des populations éloignées des circuits touristiques, de bénéficier de cette activité, en complément, le plus souvent, d’une activité agricole ou artisanale. Pour ce faire, les opérateurs français coconstruisent les séjours avec leurs partenaires locaux dans l’objectif d’une rémunération juste et d’une relation commerciale équilibrée. En outre, le TES encourage un recours majoritaire à des prestataires locaux afin d’injecter la part la plus importante possible du prix payé par le voyageur dans l’économie locale.
Le TES s’inscrit tout à fait dans la vision et la mise en œuvre des objectifs de développement durable (ODD) promus par les instances internationales. Si ses actions concernent directement les objectifs 8, travail décent et croissance économique et 12 consommation et production responsables, ses effets et impacts sur les populations et territoires concernent également les objectifs 1 réduction de la pauvreté, 4 éducation de qualité, 10 inégalités réduites et 17, partenariats pour la réalisation de ces objectifs. Les caractéristiques du TES, ses valeurs et son mode opératoire en font un acteur direct
participant à la résilience des communautés locales des territoires dans lesquels il s’immerge, notamment dans sa capacité à diversifier les économies de ces territoires dans les pays en développement où il évolue majoritairement. Ce complément qu’il apporte aux populations rurales se mesure par des améliorations de revenus dont les effets sont visibles tant dans des conditions matérielles de vie meilleures que dans un plus grand accès à l’éducation pour leurs enfants. De nombreux autres impacts sont mesurés tels que le renforcement du rôle des femmes dans les communautés, l’enrichissement des compétences des différents acteurs au travers de nombreuses formations et contacts, la mise en place de solutions techniques écologiques en matière d’énergie ou d’agriculture, l’échange interculturel, la connaissance et la reconnaissance de l’autre dont les effets positifs se retrouvent aussi bien chez l’hôte que le voyageur.
Le TES, comme son nom l’indique, est inscrit dans la logique du commerce équitable dont la démarche contribue à réduire les inégalités des chaînes de valeur mondiales. Les caractéristiques du tourisme équitable axées sur un très fort partenariat entre acteurs des territoires de destination et voyagistes des pays émetteurs, incluant même parfois les voyageurs eux-mêmes, dans une relation des plus transparentes, mettant en avant échanges humains et bénéfices économiques, font de cette niche touristique un modèle à promouvoir dans ce contexte d’évolution de l’activité face aux enjeux cités plus haut.
Si le voyage dans le cadre du TES reste malgré tout un contributeur au réchauffement climatique compte tenu de la nécessaire utilisation du transport aérien pour rejoindre des destinations souvent lointaines, les acteurs du TES militent pour, d’une part, exiger des temps de séjour suffisamment longs en minimisant les actions locales d’émission de gaz à effet de serre et, d’autre part, être en capacité de mesurer l’impact carbone des voyages afin d’envisager de possibles diminutions voire actions d’atténuation. Dans le contexte de recherche d’une plus grande équitabilité dans les chaînes de valeur, le TES, représenté en France par l’ATES (Association pour le Tourisme Équitable et Solidaire), comme ses ainés du Commerce équitable, développe en France et en Europe une offre nouvelle pouvant répondre en partie aux problématiques liées aux inégalités et au changement climatique.
La crise actuelle nous interpelle sur les stratégies d’une croissance toujours plus forte nous conduisant vers des bouleversements naturels et sociétaux qui nous impacteront fortement. Le quantitatif, notamment dans le cadre du tourisme, doit être banni, pour se focaliser sur le qualitatif mettant en avant la spécificité des territoires (bien non délocalisable… !) et de leurs habitants. Le TES s’inscrit totalement dans cette approche qualitative et son essaimage au travers de nombreux territoires doit être soutenue tant par les acteurs publics concernés que par les populations et en premier lieu les voyageurs.