Tourisme équitable et éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale : entre sensibilisation et engagement.

Le tourisme équitable et solidaire n’est pas seulement une forme plus éthique de concevoir les relations commerciales entre les partenaires tout au long de la chaîne de valeur touristique. Cette forme de tourisme ambitionne tout autant d’être un puissant vecteur de sensibilisation et de transformation individuelle, permettant aux voyageurs de développer une sensibilité interculturelle et une citoyenneté engagée.

Dans le cadre de la session du 18 mars 2025 du groupe de travail « Tourisme Communautaire et Equitable » de l’Organisation Internationale du Tourisme Social, des professionnels du secteur ont partagé leurs expériences et débattu des mécanismes qui permettent d’ancrer la pratique du tourisme équitable et solidaire dans une logique d’éducation à la solidarité internationale. Pour illustrer ces réflexions, les membres du groupe de travail ont eu le plaisir d’accueillir deux intervenantes aux expériences riches et complémentaires :

• Chiara Utro, d’Addiopizzo Travel, qui a présenté son agence de voyage au concept novateur : soutenir les acteurs locaux qui refusent de se soumettre à la mafia. Elle nous a expliqué comment cette initiative incarne une nouvelle forme d’engagement citoyen et éthique dans le tourisme.
• Gaëlle Martin, de Grandir Aventure, dont l’agence labellisée Tourisme Équitable par l’ATES se spécialise dans les séjours pour les adolescents et les jeunes adultes. Elle nous a parlé des recherches menées pour analyser l’impact du tourisme équitable sur la compréhension du monde et l’engagement citoyen des jeunes générations.

D’autres membres du groupe ont également partagé leurs expériences et leurs analyses.

Un levier d'apprentissage et de prise de conscience

Le voyage est souvent perçu comme un moment de détente et de découverte. Pourtant, dans le cadre du tourisme équitable, il se transforme en une expérience immersive qui favorise une réflexion critique sur les réalités économiques, sociales et historiques des destinations visitées. Loin des idées reçues promues par les circuits traditionnels, les voyageurs sont invités à découvrir « l’envers de la carte postale », à rencontrer des acteurs locaux engagés, à comprendre les dynamiques de développement des territoires et à développer une compréhension plus fine des interdépendances mondiales. Parce qu'il sensibilise les voyageurs aux valeurs de l'économie sociale et solidaire et à la possibilité d'une mondialisation alternative positive, tout en leur faisant vivre des émotions fortes, le tourisme équitable est un puissant levier de transformation des comportements, notamment de consommation!

Dans ce contexte, des initiatives telles que celle d'Addiopizzo Travel en Sicile offrent un exemple éloquent de la manière dont le tourisme peut s’inscrire dans une démarche de lutte contre les systèmes d'oppression économique et sociale. En incitant les voyageurs à soutenir des entreprises qui refusent de payer le "pizzo" – un impôt mafieux – ce type de tourisme ne se limite pas à une consommation plus éthique, mais devient un véritable acte citoyen. De même, les colonies de vacances équitables de Grandir Aventure permettent aux jeunes participants d'intégrer des notions de solidarité internationale et de respect des cultures locales dans leur construction personnelle.

Les émotions, catalyseurs de l'engagement

L’un des aspects fondamentaux du tourisme équitable repose sur l’expérience sensible du voyageur. Loin d’être une simple transmission de savoirs académiques, le contact direct avec les populations locales, les récits de vie et la confrontation avec des réalités parfois difficiles suscitent des réactions émotionnelles fortes. Cette charge affective peut être déterminante dans l’évolution des représentations et des comportements des voyageurs.

Les intervenants ont souligné l’importance de ces émotions dans l’ancrage d’une prise de conscience durable. Un touriste qui visite un quartier de Palerme où des commerçants résistent à la mafia n’en repart pas indifférent : il est touché par la bravoure des habitants et perçoit concrètement l'impact de ses choix de consommation. De même, un adolescent qui participe à un échange solidaire à Madagascar peut, à son retour, repenser sa manière de percevoir les inégalités et l'engagement citoyen.

Mesurer et assurer la pérennité de l'impact

Mais comment mesurer l'impact réel de ces expériences sur les voyageurs et les communautés d'accueil ? La question de l'évaluation de l'impact du tourisme équitable reste complexe. Si des outils comme les questionnaires post-séjour ou les entretiens qualitatifs permettent de recueillir des témoignages et de quantifier certains effets, ils ne rendent pas toujours compte de l'évolution des comportements sur le long terme. Parfois, le voyage équitable peut « planter une petite graine » qui germera plusieurs années plus tard.

Pour autant, cette sensibilisation doit s’inscrire dans un dispositif économique visant à soutenir les initiatives locales et à encourager l’émancipation des populations, sous peine de perpétuer des stéréotypes nuisibles : il ne s’agit pas de « donner bonne conscience » aux voyageurs en leur permettant d’accomplir des actions charitables, de contribuer à « faire le bien » à travers l'expérience touristique, mais de créer les conditions d’une véritable solidarité entre les peuples, d’une compréhension réciproque et de la réduction des inégalités.

Les participants ont échangé sur les différents moyens de suivre l'engagement des voyageurs après leur expérience. Certains acteurs du secteur travaillent ainsi à la mise en place de plateformes d’échange permettant aux anciens voyageurs de partager leurs actions post-séjour et de s’impliquer dans des initiatives locales en lien avec leur expérience. Cette continuité est essentielle pour s’assurer que le voyage ne soit pas une simple parenthèse exotique, mais bien une étape dans un engagement citoyen durable.

Entre viabilité économique et attractivité du modèle

Un autre enjeu majeur abordé lors de la table ronde est celui de la viabilité économique du tourisme équitable. Si l’offre attire de plus en plus de voyageurs en quête de sens et d’authenticité, elle reste confrontée à la concurrence du tourisme conventionnel. L’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale peut-elle être attrait pour les clientèles, un argument commercial, ou au contraire constitue-t-elle un repoussoir pour des publics à la recherche de divertissement et d’aventure ?

Les professionnels présents ont mis en avant la nécessité de diversifier les offres et de mieux communiquer sur la valeur ajoutée du tourisme équitable. Les voyageurs sont de plus en plus sensibles aux enjeux éthiques, mais encore faut-il les informer sur les alternatives qui s'offrent à eux. Une meilleure visibilité en ligne, une labellisation claire et des témoignages engageants peuvent jouer un rôle déterminant dans la démocratisation de ces pratiques.

Conclusion : un tourisme porteur de transformation

En définitive, le tourisme équitable et solidaire ne se résume pas à un simple mode de consommation éthique. Il constitue un outil de sensibilisation puissant, capable de transformer la vision du monde des voyageurs et de renforcer leur engagement citoyen. Grâce à des initiatives innovantes, des rencontres authentiques et une mise en récit émotionnelle forte, il permet de construire des ponts entre les cultures et de promouvoir une vision plus solidaire du voyage.

Toutefois, pour que cet impact soit durable et significatif, il est essentiel de continuer à travailler sur la mesure des effets du tourisme équitable, sur sa viabilité économique et sur la diffusion de ses valeurs auprès d'un public plus large. Le défi est de taille, mais les discussions menées lors de cette table ronde montrent que les acteurs du secteur sont résolument engagés dans cette dynamique.